Pour une gestion durable des ressources marines
Par l'implication de tous les pêcheurs

Entretien avec Harold Levrel

Harold Levrel est l’auteur ou le co-auteur de plusieurs études portant sur la pêche de loisir dont vous trouverez les références à la fin de cet article. De manière générale, ses thèmes de recherche portent sur l’étude des interactions entre usages et environnement ainsi que l’évaluation des services écosystémiques (les services rendus par la nature !). Harold Levrel rejoindra prochainement l’Agro Paris Tech.

 

Harold Levrel, vous avez été l’un des chercheurs de l’Ifremer engagés dans les études sur la pêche de loisir, pouvez-vous nous expliquer quelles sont les principales problématiques que pose cette activité, au niveau écologique, économique et en matière de gestion des pêches ?

Sur le plan écologique, il n’est pas évident que la pêche de loisir pose véritablement de « problèmes ». De manière générale, les prélèvements ne sont pas très importants, en comparaison de la pêche professionnelle. Par contre, sur certaines espèces, les niveaux estimés de prélèvement posent un certain nombre de questions. Sur le bar, les dernières estimations situent le prélèvement des pêcheurs de loisir à environ un tiers du total des prélèvements de bar en France. Ce niveau est donc non négligeable et la question qui se pose alors est l’intégration de l’ensemble des activités de pêche ciblant le bar dans le cadre des évaluations de stocks. Par ailleurs, certaines pratiques, comme le retournement des blocs par les pêcheurs à pied, peuvent avoir des conséquences importantes sur l’écosystème littoral.

 

Sur le plan économique et social, la question de la concurrence sur la ressource entre pêcheurs professionnelle et pêcheurs de loisir est majeure. Sur des espèces comme le bar encore, les tensions peuvent être vives et sources de conflits. Le bar cristallise toutes ces tensions car c’est une espèce qui regroupe beaucoup de « points chauds » : forte valeur économique, espèce emblématique pour les pêcheurs de loisir, et espèce ciblée par les ligneurs (qui ne posent pas de problèmes aux pêcheurs récréatifs) et les chalutiers (que les pêcheurs récréatifs critiquent fortement lorsqu’ils pratiquent les prélèvements pendant la période de fraie). La question de la cohabitation spatiale entre « pros et loisir » est également très problématique sur certains secteurs réputés.

 

En fait, contrairement au milieu « terrestre », le monde de la pêche en mer ne bénéficie pas d’ « arènes » où il est possible d’avoir un dialogue entre les différents acteurs de la mer, ce qui conduit à un manque d’instances de dialogue et de recherche de solutions à ces différents problèmes. Avec l’émergence de nouvelles activités comme les énergies marines renouvelables (l’éolien en mer), les questions d’occupation et de gestion du territoire maritime vont se complexifier et nécessiteront de créer des espaces de concertation intégrant l’ensemble des usagers.

 

Que cherche-t-on donc à connaitre sur les pêcheurs de loisir ou la pêche de loisir?

Pour bien comprendre une activité, les scientifiques ont besoin de bien la connaitre. Dans un premier temps, nous avons besoin de savoir combien il y a de pêcheurs, combien pratiquent la pêche à pied, la pêche du bord, en bateau etc.

 

Ensuite, il est nécessaire de connaitre les caractéristiques des captures de manière générale. Quelles sont les espèces capturées par les pêcheurs de loisir ? Quelles quantités cela représente-t-il ? Ce premier niveau de connaissance permet déjà d’évaluer si telle ou telle espèce est capturée plutôt en très faible quantité, ce qui ne justifierait pas d’approfondir son étude, ou en plus grande quantité.

 

Mais nous nous intéressons à bien d’autres aspects liés à la pratique de la pêche récréative : impact économique de cette activité en France, profils sociaux du pêcheur récréatifs, savoir locaux à mobiliser, etc.

 

Depuis quand l'Ifremer mène-t-elle des études sur la pêche de loisir?

Le premier travail effectué au niveau national a débuté en 2003. Il s’intéressait uniquement au bar.

 

Une deuxième enquête a été menée en 2006, en élargissant le champ d’étude à toutes les espèces et toutes les pratiques de pêche de loisir : pêche à pied, pêche du bord, pêche embarquée, chasse sous-marine.

 

En 2009, notre mandataire, la Commission Européenne, a restreint la liste des espèces à suivre en incluant seulement celles concernées au titre de la gestion des ressources halieutiques européennes (Data Collection Framework). Etaient concernés le bar, le thon rouge, le cabillaud, le saumon, les requins et les raies, et l’anguille. L’IFREMER a laissé l’anguille et le saumon à l’institut en charge du suivi des poissons d’eau douce (l’ONEMA). Cependant, parmi toutes les espèces marines restantes, seul le bar permettait de réaliser une étude significative. Pour les autres espèces, les captures effectuées par la pêche récréative ne sont pas suffisamment élevées pour qu’on puisse les étudier.

 

Enfin, la dernière étude date de 2013. Toutes les espèces ainsi que toutes les pratiques de pêche de loisir ont été étudiées hormis la pêche à pied.

 

Les résultats des études de l’Ifremer font état d’environ 2,5 millions de pêcheurs récréatifs en France, comment peut-on obtenir des résultats fiables avec autant de pratiquants ?

Comme on ne dispose d’aucun registre officiel permettant de recenser les pratiquants de la pêche de loisir, la seule solution pour les scientifiques est d’étudier la population française dans son ensemble. La méthode d’enquête par sondage téléphonique de l’ensemble de la population est en effet la seule permettant d’évaluer le nombre de pêcheurs et leur répartition parmi les différents types de pratique .

 

Nous avons appris depuis le début de ces études à améliorer la fiabilité de nos résultats. A ce jour, le couplage de l’enquête téléphonique avec le recueil de données de captures par le moyen de carnets de pêche complété par un panel de pêcheur représentatifs constitue la méthodologie la plus robuste pour évaluer le nombre de pêcheurs et les prélèvements réalisés.

 

Le biais lié aux techniques déclaratives n’entraine-t-il pas de gros écarts par rapport à la réalité ? Comment intégrez-vous cette difficulté?

C’est justement parce que nous nous sommes rendu compte lors de nos premières études que les déclarations faisant appel à la mémoire des personnes entrainaient des phénomènes de distorsion importants que nous privilégions maintenant un recueil de données issues des carnets de pêche.

 

Selon vous, la méthode du carnet de pêche peut donc répondre à ces problématiques touchant la pêche de loisir ?

Oui, la principale contrainte est de disposer d’un panel de pêcheur qui soit à la fois suffisamment nombreux et bien représentatif de la population globale de pêcheurs en mer. Par exemple, il est très difficile de réunir le nombre suffisant de pêcheurs panélistes correspondant à la proportion de pêcheurs appartenant à la catégorie des pêcheurs « occasionnels » car ils sont tout simplement moins enclins à participer à un panel pour les 2 ou 3 sorties qu’ils vont faire dans l’année.A l’inverse, les pêcheurs intensifs sont plus intéressés car souvent plus passionnés et parce qu’ils vont par définition pêcher plus souvent. Mais il faut garder à l’esprit que l’on doit avoir une bonne représentativité de la population de pêcheurs récréatifs dans son ensemble dans notre panel. C’est primordial si l’on veut ensuite faire des extrapolations qui ont du sens.

 

L’Ifremer avait obtenu lors de sa dernière étude (2011-2013) des résultats issus d’un panel de 181 pêcheurs, avec des niveaux d’incertitudes assez importants. Pour le bar par exemple, le niveau d’incertitude était de +/- 50% environ. Il est donc nécessaire de disposer d’un nombre de pêcheurs suffisamment nombreux pour améliorer la fiabilité des résultats.

 

L’avantage du carnet de pêche, sur le plan « psychologique » est que les résultats qu’on pourra obtenir de ces derniers seront potentiellement bien mieux acceptés par les pêcheurs car ils sont issus de données renseignées par les pêcheurs eux-mêmes. Il faut par contre faire attention à la cohérence générale de l’ensemble des différentes initiatives qui voient le jour en France. De même, il faut être attentif aux risques d’interprétation et d’instrumentalisation de tous bords que ces démarches peuvent entrainer. Chacun ayant tendance à détourner les chiffres pour mieux accuser les autres acteurs en période de crise.

 

Comment peut-on être certain que les pêcheurs renseignent correctement leur carnet de pêche ?

C’est une question que nous nous sommes posé. Est-ce que les pêcheurs panélistes renseignaient bien leur carnet, même pour des sorties avec aucune capture ? Nous avons pu le vérifier en contactant très régulièrement un échantillon de pêcheurs pour leur demander s’ils avaient bien renseigné TOUTES leurs sorties et comparé ces résultats avec ceux du panel global, dont les fiches étaient collectées tous les trois mois. Le résultat était que l’ensemble des pêcheurs du panel remplissait bien l’ensemble de leurs sorties (sans omettre celles où ils n’avaient rien pris notamment). Etant volontaires pour participer à cette expérience, ils avaient à cœur de bien respecter ses contraintes.

 

Nous nous sommes également posé la question de l’exactitude des données de taille et de poids renseignées dans les carnets. En comparant la courbe liant la taille et le poids des individus capturés par nos panélistes et la courbe de référence que l’Ifremer obtient par des campagnes scientifiques, nous avons constaté une quasi parfaite similitude entre les deux. Or les pêcheurs récréatifs ne connaissent pas pour la plupart ces courbes de ratio taille/poids. Cela nous a fourni la preuve que les panélistes renseignaient très précisément les données.

 

En conclusion, quelle serait, pour vous, l’évolution la plus importante concernant la pêche de loisir en mer ? 

On observe une structuration de plus en plus forte des pêcheurs de loisir, ce qui est une bonne chose. Comme je le disais au début, la pêche maritime a un besoin vital d’espaces de dialogue apaisés et constructifs entre les différents acteurs, notamment pêcheurs de loisir et pêcheurs professionnels. Cette structuration permettra sans doute d’améliorer les conditions de discussion et de trouver certainement des terrains d’entente.

 

Si je devais citer une évolution importante et relativement « indolore » pour les pêcheurs de loisir, ce serait la création d’un registre des pêcheurs en mer, lié à une déclaration obligatoire d’activité. La création d’une telle base de données sur l’ensemble des pratiquants permettrait de réduire de façon extrêmement significative le coût des études pour connaitre la population de pêcheurs (les enquêtes téléphoniques) et pourrait être utile autant aux fédérations de pêcheurs récréatifs qu’aux scientifiques qui travaillent sur le sujet du suivi de la pêche récréative, en vue de sortir de certaines lieux communs sur cette activité.