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Par l'implication de tous les pêcheurs

Gestion du bar : suite d'un feuilleton vieux de 20 ans

L’année 2015 sera incontestablement l’année du bar. L’interdiction de la pêche du bar au chalut pélagique dans la zone « Nord » au titre de mesure d’urgence, ainsi que l’annonce d’autres mesures de gestion touchant tous les autres types de pêche, professionnelle et amateur, vont marquer un tournant dans l’histoire de la pêche du bar. Et pourtant, il s’agit d’un feuilleton vieux de 20 ans.

 

Rappel « historique »

 

Depuis le début des années 2000, le bar est l’objet d’une confrontation entre nombre de pêcheurs, qu’ils soient plaisanciers ou professionnels. En 2002, l’EAA (L'Alliance Européenne des Pêcheurs à la Ligne) adoptait une résolution réclamant des mesures appropriées de gestion du bar, comprenant une interdiction de la pêche du bar durant la période du frai dans les régions où la ponte a lieu. A la même période, le Collectif Bar Européen dénonçait la pression excessive de pêche sur le bar, en visant essentiellement les bolincheurs. En 2002 également, la Commission Européenne faisait pour la première fois une proposition de mise sous quota du bar, finalement tombée aux oubliettes.

Un nouvel événement va encore accentuer la pression de pêche sur le bar. En 2005, la situation dramatique de l’anchois entraine un moratoire de la pêche dans le Golfe de Gascogne. A partir de cette année, les captures de bar des chalutiers pélagiques en manche ouest (VII e et h) vont fortement croitre tandis qu’elles diminuent dans le Golfe de Gascogne (VIII a et b). Ce transfert du Golfe de Gascogne vers la Manche est interprété d’après l’Ifremer, comme un changement de stratégie de pêche lié à une probable modification d’abondance des bars entre ces deux zones (1). C’est également certainement un impact direct du moratoire sur l’anchois qui conduit les pélagiques à se reporter sur une espèce accessible, dont l’exploitation n’est pas contrainte par un quota de pêche, le bar.

Pourtant la pêche du bar au chalut pélagique est plus ancienne que le début des années 2000. Dans sa thèse intitulée « traits biologiques et exploitation du bar commun dans les pêcheries françaises de la manche et du golfe de Gascogne », Manon Fritsch indiquait les éléments suivants : 

  • - De 1986 à 1995, les productions annuelles déclarées en criées sont sensiblement constantes, de l’ordre de 2500 tonnes (un peu moins à partir de 1993).

  • - A partir de 1996, les ventes annuelles ne descendent plus en dessous de 2900 tonnes, et sont même largement supérieures à 3500 tonnes à partir de l’année 2000.

L’année 1996 voit effectivement les captures de bars réalisés par les pélagiques passer de 1 000T à 3 500T. Une pêche si extraordinaire que c’est également en 1996 qu’une mesure de limitation des débarquements à 5 T par semaine et par navire est décidée par les organisations de producteurs afin d’éviter l’engorgement du marché et l’effondrement des prix.

Source : Ifremer (2)

 

En reliant ces données avec celles de la période 2000-2011, on constate en effet un fort accroissement des captures de bar. Le total des captures françaises passant d’environ 2 – 3 000T à plus de 5 000T, sans intégrer les captures de la pêche de loisir.

 

Source : Ifremer (1)

 

Du point de vue européen, les autres pays assistent à cet accroissement de l’effort de pêche mais n’y participent pas. La France creuse l’écart et domine la production européenne.

La situation n’est pas homogène sur toutes les zones de pêche. Les figures suivantes montrent que la zone « Nord » a subi pratiquement à elle seule l’augmentation de l’effort de pêche.

Source : Ifremer (2)

 

 

Source : Ifremer (1)

 

Quant à l’impact des différents engins de pêche, on constate à la lecture des figures ci-dessous que la surexploitation est généralisée à l’ensemble des métiers de pêche professionnelle (chaluts de fond et fileyeurs), à l’exception des ligneurs dont les débarquements sont en diminution depuis 20 ans.

 Source : Ifremer (1)

 

La dénonciation assez ancienne de l’impact du chalut pélagique sur la ressource en bar a certainement occulté le fait que d’autres métiers avaient également une grande part de responsabilité dans l’accroissement exagéré de l’effort de pêche, chalutiers de fond et fileyeurs essentiellement. La combinaison d’un ensemble de facteurs négatifs a constitué un terreau qui a cristallisé le ressentiment des plaisanciers et des ligneurs :

  • - Rejet de la pêche sur frayères associé à des coups de chalut extraordinaires

  • - Modèle économique basé sur une logique de volume et des prix de vente sans rapport avec une espèce noble

  • - Très faible nombre de navires profitant de cette ressource comparé aux nombreux autres navires exerçant d’autres métiers : ligneurs, chalutiers de fond, fileyeurs.

Le développement de la pêche sur frayère des fileyeurs en Atlantique a été moins commenté mais reste une exploitation intensive sur frayère. Il est d’ailleurs important de noter que le développement de cette pêcherie est certainement un impact des mesures de gestion du stock de sole du Golfe, notamment les restrictions de quota qui se sont accentuées au début des années 2000. C’est une malheureuse démonstration de la complexité de la gestion des pêches à l’échelle d’un écosystème et des effets pervers qu’entraine la situation de surcapacité de l’effort de pêche, toujours d’actualité.

 

Evolution comparative du TAC et des débarquements de sole du GG depuis 1984 (source IFREMER/SIH/DPMA) (3)

 

Et du côté de la recherche et de la gestion…

 

En 2002 déjà, la Commission Européenne proposait la mise en place d’un quota de capture du bar pour l’année 2003 fixé à 4 215 Tonnes, proposition non adoptée en Conseil des ministres.

En 2004, le groupe d’étude du bar du CIEM préconisait dans son rapport de « mettre en place des mesures de gestion de long terme de l’espèce, notamment en protégeant les zones de nurseries de juvéniles de bar et en limitant la flottille pêchant le bar en période de frai ». La mise en place de quota pour le bar était par contre considérée comme inappropriée (4).

Durant la décennie 2000, les recherches effectuées sur le stock ne permettent toujours pas de définir un diagnostic suffisant de l’état de santé du (ou des) stocks de bars, laissant filer la surexploitation généralisée du bar, tant côté professionnels que plaisanciers. Du côté de la pêche de loisir, les études de l’Ifremer font grand bruit. Dans sa première étude de quantification des prélèvements de bars par les pêcheurs de loisir sur l’ensemble de la France, l’Ifremer avance la fourchette de 6 020 à 10 668 Tonnes. Des chiffres impressionnants qui montreront surtout la grande difficulté à évaluer les prélèvements et la forte incertitude associée. Les études suivantes aboutiront sur des fourchettes bien moindres (entre 2 et 3 000T) mais démontrent avant tout que la pêche de loisir est un contributeur majeur aux captures de bar en Europe, et doit impérativement être intégrée, tant dans la recherche scientifique que dans le travail de gestion (voire de co-gestion) de la pêche du bar (voir l'article sur les mesures de gestion).

 Durant cette décennie, s’opposent également les avis, entre les lanceurs d’alerte, qui ne cessent de dénoncer le massacre de la ressource, et les « guides de consommation » associés à la filière halieutique, qui se félicitent du bon état de santé de la ressource de bar. Certes, les captures ne faiblissent pas (encore). Ainsi, en 2009, les ligneurs de la Pointe de Bretagne alertent sur la diminution dramatique des captures, et de son corollaire immédiat, la disparition des pêcheurs les plus fragiles. 

 

Durant cette décennie également, le bar n’est pas victime uniquement de la pêche. Les conditions climatiques de la fin 2000, avec des hivers rigoureux, entrainent de sérieux problèmes de survie des juvéniles de bar (le recrutement) et donc hypothèquent fortement la santé de la population de bars du début des années 2010, justement celle qui est (encore) dans l’eau en ce moment.

Les pêcheurs professionnels français sous la houlette du Comité National des Pêches, pressentent que des jours difficiles s’annoncent et choisissent d’agir en premier en proposant en 2012 une demande de mise sous quota et un ensemble de mesures de gestion. Malheureusement, aucune des mesures adoptées (mise en place d’un contingent de licences essentiellement) n’est raisonnablement à la hauteur de la situation de surexploitation. Concernant la mise sous quota, il ne s’agit nullement d’une intention généreuse de la part des pêcheurs français mais bien d’une stratégie courante dont l’objectif est de conquérir la majeure partie du quota européen. Une forme de course à l’armement version halieutique, qui se poursuit certainement encore maintenant avec une nouvelle flottille dans ce jeu déjà malheureusement bien encombré, celle des chalutiers sablais et turballais pêchant à la senne danoise. Repris par la Commission Européenne, le projet de quota n’aboutit finalement pas, les autres pays se refusant à céder à la France une si grosse part du gâteau (5).

Fort heureusement, l’avis du CIEM sur l’état de santé du stock de bar de la « zone Nord » (voir l'article) de 2013 lance une première alerte en démontrant une situation de surexploitation, mais qui ne permet pas d’aboutir à des mesures de gestion au niveau européen. L’avis de 2014 (voir l'article) va alors véritablement modifier la donne. Il dresse un diagnostic plus précis, et malheureusement bien sombre, et permet de définir le niveau de capture correspondant à une exploitation durable au titre de la Politique Commune des Pêches. Une réduction de 80% des captures est requise, pour tous, professionnels et plaisanciers.

Soucieux de rester dans la partie, les professionnels réunis au sein du CNPMEM proposent de nouvelles mesures de gestion, telles qu’une taille minimale à 40 cm ou un arrêt biologique d’un mois au choix.

 

Cependant, l’avis du CIEM constitue une base solide pour la Commission Européenne qui propose fin 2014 (voir l’article sur la proposition de la Commission ) une limitation de l’effort de pêche essentiellement ciblée vers les chalutiers pélagiques et les plaisanciers dans la zone « Nord ». Les fédérations (françaises notamment) de pêche de loisir s’opposent avec virulence au projet de quota journalier pour le bar, bien que nombre de pêcheurs plaisanciers se félicitent d’une mesure forte à la hauteur d’une situation bien dramatique. Il est vrai que l’adoption volontaire d’une taille minimale de capture à 42 cm pour la pêche de loisir en 2012 constituait un geste important de la part des plaisanciers. De leur côté, les professionnels font pression de façon plus globale pour affronter les baisses de quotas proposées par la Commission. Ils organisent notamment une manifestation lors de la venue de Manuel Valls aux assises de la mer à Nantes.

A l’issue du conseil des ministres européens des 15 et 16 décembre 2014, les négociations sur le dossier bar n’ont abouti à aucune décision, repoussant le sujet à début 2015. Mais le Royaume-Uni bouleverse ce (non) calendrier en déposant le 19 décembre 2014 une demande de mesure d’urgence auprès de la Commission, réclamant l’arrêt de la pêche pélagique sur les frayères de manche ouest (http://www.lemarin.fr/sites/default/files/2014/12/22/draft_sea_bass_art_12_email_19_12_14.doc).

 

Les pêcheurs professionnels tentent alors d’éviter cette interdiction en proposant de nouvelles mesures de gestion, telles qu’une limitation maximale de l’effort de pêche des pélagiques à -40% et une limitation des autres métiers à 2,5 Tonnes par mois. Ils réclament également une limitation des captures des plaisanciers à 3 bars par jour par pêcheur.

Ces tentatives resteront vaines. Le 14 janvier 2015, la Commission publie un document (pré)officialisant la mesure d’interdiction de la pêche du bar au chalut pélagique, sur l’ensemble de la zone « Nord » (donc au-delà de la zone évoquée par le Royaume-Uni), jusqu’au 30 avril 2015. La Commission annonce également que d’autres mesures de gestion incluant l’ensemble des autres métiers de pêche professionnelle et de loisir seront arrêtées prochainement.

Lien vers le communiqué de la Commission

 Lien vers le projet de texte

Sans surprise, les représentants de la pêche professionnelle dénoncent fortement cette décision, qu’ils considèrent « inacceptable pour la profession, dangereuse économiquement et inefficace en termes de gestion de la ressource ». Ils mobilisent quelques élus, Alain Cadec, Isabelle Thomas (députés européens), ainsi que Gwendal Rouillard (député de Lorient), mais certainement sans grand espoir.

http://france3-regions.francetvinfo.fr/bretagne/2015/01/16/peche-du-bar-l-interdiction-met-les-pecheurs-en-colere-633930.html

http://www.ouest-france.fr/peche-au-bar-lorient-les-professionnels-mobilisent-les-elus-3121959?utm_medium=social_cm&utm_term=of56&utm_source=twitter

Dans le reportage qui suit, on voit même Jean-Luc Mélanchon appeler les pêcheurs à créer « le plus grand désordre possible », et un armateur lorientais affirmer qu’il passera outre l’interdiction, si aucun encadrement général de la pêcherie n’est adopté…

http://france3-regions.francetvinfo.fr/bretagne/2015/01/17/lorient-56-jean-luc-melenchon-appelle-les-pecheurs-ne-pas-se-laisser-faire-635074.html

 

Cette situation qui met des hommes au pied du mur est incontestablement regrettable. Mais l’analyse de l’histoire de cette pêcherie montre que la situation de surexploitation n’est pas nouvelle. Elle met en lumière le grave dysfonctionnement de la filière halieutique, pêche de loisir incluse, entre une recherche scientifique trop impuissante, un système de gouvernance imparfait et obscur, au niveau européen comme au niveau des Etats et une logique de lobbys qui ne fait que troubler la compréhension de la gestion des pêches par le citoyen européen.

 

Seule voix discordante parmi les pêcheurs professionnels, dans un communiqué, les Ligneurs de la Pointe de Bretagne apportent la principale conclusion à cette analyse. A l’instar de ce qu’avance la Commission, ils annoncent que « cette mesure d’interdiction prise dans l’urgence ne constitue que la première salve d’une série de mesures dont on sait qu’elles vont être douloureuses pour toutes les parties prenantes. » Ils dénoncent également « la faillite d’un système », et « la lourde responsabilité de la France » dans l’obligation de gestion d’une espèce dont elle avait la plus grande responsabilité. Ils dénoncent également « la faillite d’un système de représentation professionnelle qui n’a pas su s’appuyer sur une composition paritaire des différentes composantes de la pêcherie. Un système qui n’a pas su associer scientifiques, pêcheurs de loisirs, ONG, élus ».

 

Le 26 janvier 2015, la Commission publie un communiqué ainsi qu’une infographie sur son site internet officialisant la mesure. Elle y indique notamment les éléments suivants :

  • - Interdiction immédiate du chalut pélagique en zone « Nord », jusqu’au 30 avril 2015

  • - Cette mesure sera suivie par d’autres mesures de gestion visant à ce que tous ceux qui capturent du bar contribuent également à la sauvegarde du stock

  • - La Commission souhaite l’application d’une limite journalière à 3 bars par pêcheur de loisir

  • - Elle souhaite également l’application d’une nouvelle taille minimale de capture à 42 cm pour tous

  • - Des limitations de captures appliquées aux autres métiers capturant du bar sont également souhaitées

Pour étayer sa proposition, la Commission relève le fait que la période du frai est une phase de forte vulnérabilité, ainsi que l’impact fort (25%) du chalutage pélagique sur les captures de bar. Fait assez nouveau, la Commission insiste sur la contribution économique de la pêche de loisir, en citant un chiffre de plus de 2 milliards d’euros de dépenses associées. Elle met également en balance une centaine de marins au chalut pélagique impactés par cette interdiction avec les centaines d’autres pêcheurs en « petite pêche » qui dépendent uniquement du bar.

Il faut avoir en tête qu’un nouvel épisode du feuilleton s’ouvre aujourd’hui. La Commission n’a pu agir uniquement qu’au titre de l’article 12 du règlement de la Politique Commune des Pêches, sur demande d’un Etat membre, le Royaume-Uni. Pour que les nouvelles mesures de gestion évoquées soient adoptées, un nouveau processus d’échange entre Commission, Etats membres et Conseil de l’Union Européenne doit se mettre en place.

 

Une autre conséquence non négligeable est redoutée par de nombreux pêcheurs du Golfe de Gascogne, plaisanciers comme professionnels, « épargnés » jusqu’à présent. Il est plus que probable que les pélagiques vont dès à présent se reporter sur les frayères de Golfe de Gascogne, où, rappelons-le, le CIEM recommande déjà une diminution des captures de 20% ! C’est un scénario d’autant plus probable que ni la sole, ni le merlu, ni le maquereau ne sont des espèces potentiellement disponibles ou judicieuses, et que le bar reste une espèce surexploitée, non soumise à quota, et dont la pêche peut encore être faite jusqu'au dernier individu.

Il faut donc avoir à l’esprit que cette mesure d’interdiction n’est qu’une mesure d’urgence et qui ne devrait pas avoir à être renouvelée. Ce serait alors le signe d’une incapacité permanente de l’Europe et des Etats, à assurer une gestion durable des ressources halieutiques, encadrées par un quota ou non.

La prochaine grande étape, au-delà même des mesures qui pourraient être annoncées par la Commission au sujet des autres métiers et des pêcheurs de loisir (quota journalier notamment), est la construction d’un plan de reconstitution des stocks de bars, permettant enfin à cette espèce d’atteindre une biomasse correspondant au niveau du Rendement Maximal Durable.

 

(1) Ifremer-19814-Description de l’activité des navires capturant le bar Evolution des captures et des débarquements de la pêche professionnelle sur la période 2000-2011

(2) Manon Fritsch - Traits Biologiques et Exploitation du Bar commun Dicentrarchus labrax (L.) dans les Pêcheries Françaises de la Manche et du Golfe de Gascogne

(3) Lagière R., Macher C., Guyader O. (2012) [en ligne] « Bilan et évolution des mesures de gestion mises en oeuvre dans le golfe de Gascogne : Focus sur les mesures impactant directement ou indirectement la pêcherie de sole », Publications électroniques Amure, Série Rapports R-25-2012, 88 p.

(4) ICES - Report of the Study Group on Sea Bass – 2004

(5) http://pointe-de-bretagne.fr/2012/projet-de-quota-europeen-sur-le-bar